Chroniques de la vie ordinaire : Des départements sans nom?
En ces temps de célébration du 20 è anniversaire du changement de nom du département des Côtes du Nord en celui des Côtes d' Armor, on peut se demander légitimement si le long combat mené pour arriver à cette fin en a bien valu la peine et si ces festivités ont encore du sens!
La tendance dans le langage courant, pour les départements, n'est elle pas aujourd'hui, comme pour les vaches laitières il y a une trentaine d'années, de passer du nom au numéro, de l'identité à la norme, de la personnalisation à l'anonymat? Quand on récapitule les départements de la région par exemple, on cite le plus souvent le 22, le 29, le 35 , le 56, pour la Bretagne administrative actuelle, plus le 44 pour la Bretagne historique, que leurs noms respectifs. Et peut-être en arriverons nous bientôt, comme dans la région parisienne par mode ou par mimétisme, à baptiser les départements bretons «le deux deux», «le deux neuf», «le trois cinq», «le cinq six»et «le quatre quatre»?
Cela n'aurait pas vraiment d'incidence si l'on était encore à l'époque où on apprenait aux élèves à réciter par coeur et par ordre alphabétique, dans les écoles, les noms des départements et de leurs préfectures et sous-préfectures! Cela ne serait pas trop significatif encore si les plaques minéralogiques des véhicules à moteur étaient toujours départementalisées, permettant aux parents, au cours de leurs déplacements, d' apprendre par le jeu à leurs enfants à mettre, sous les numéros rencontrés, les différentes appellations de ces territoires administratifs anciens. Des entités, il faut le reconnaître, inventées de toutes pièces par la Constituante en 1790 pour offrir, à l'homme nouveau issu de la Révolution, un cadre nouveau faisant fi de l'histoire, voire de la géographie (cf le Var ne coule pas dans le Var) et donc difficiles à mémoriser et à localiser!
Quand on sait que les Français connaissent mal leur géographie et que d'autres échelons administratifs plus pertinents et plus signifiants pour eux ( Région, pays...) se sont crées depuis , quel est l'avenir de ces territoires devenus naturellement de simples numéros? Qui est aujourd'hui capable en France de citer, hors sa région et son environnement immédiat, les noms et a fortiori les numéros des départements des différentes régions de l'hexagone et de les situer?
Au moment où on parle de réforme territoriale, de citoyenneté, de cohésion et d'identité nationales, cette évolution spontanée et populaire de la terminologie liée au découpage départemental - qui aurait peut - être convenu à ses concepteurs- doit interroger sur la légitimité à terme de ce dernier. En tout état de cause, elle ne favorise pas, à l'image de la mode insensée de l'abréviation ( abus du « mono et du bisyllabismes» et des sigles) et de «l' anglo-américanisme» dans le langage courant, la compréhension au quotidien entre concitoyens.
Les propos récents entendus d' un jeune chef d'entreprise, venu se présenter en mairie de Peillac et évoquant son parcours professionnels, en sont la parfaite illustration: «Après avoir débuté ma carrière dans le 83, je suis parti dans le 84, avant de m'installer dans le 37 où tout marchait bien. J'ai voulu me rapprocher ensuite de ma mère qui réside dans le 35, mais, après avoir cherché vainement aussi dans le 44, je n'ai trouvé à m'installer que dans le 56 , pas loin de Peillac, et je viens vous offrir mes services». Un moment interloqué par cette présentation ubuesque, j'ai fini par lui répondre, en tant que géographe basique, que si j'avais bien compris, il avait dû commencer à travailler en Provence avant de poursuivre ses activités en Touraine pour s' établir finalement en Bretagne et, très précisément, dans le pays de Redon!
Jean-Bernard Vighetti, maire de Peillac, le 7/03/2010
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